Difficile à plumer

29 avril 2025 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, février 2025

Dernier dossier de la journée. Basile est né en 2002 à Toulouse. Chose rare, il comparait libre, ce qui veut dire qu’un⋅e juge des libertés et de la détention a décidé de ne pas l’envoyer en prison pendant le week-end.

— Est-ce que vous travaillez actuellement ?

— En ce moment, je suis au chômage.

— Depuis quand ?

— Septembre dernier. Je suis en train de me reconvertir dans la mécanique aéronautique, j’ai signé un contrat d’engagement jeune mais…

— D’accord, d’accord. Vous comparaissez pour outrages, violence et rébellion. Vous avez traité les policiers de fils de pute, vous leur avez craché dessus, vous leur avez dit d’aller se faire enculer. Vous comparaissez aussi pour avoir brisé les phares d’un véhicule stationné à côté. Le tout en état d’ivresse manifeste. Voulez-vous être jugé maintenant où voulez-vous un délai pour préparer votre défense ?

— On peut dire quelque chose ?

— Non, vous devez répondre à la question, c’est comme ça que ça marche.

Basile accepte d’être jugé immédiatement.

Le président résume à sa manière le dossier :

— Un témoin appelle la police à 3 h du matin parce qu’un individu est en train de casser les phares d’une voiture. C’était une Renault Super 5. C’est quasiment une voiture de collection ! Ça se respecte, tout de même ! La police vous trouve à l’intérieur d’un autre véhicule avec du sang sur la main. Quand vous finissez par sortir de la voiture, vous ne tenez pas sur vos jambes, et vous êtes très virulent. On est d’accord ?

— Oui.

— Pourquoi avez-vous bu ?

— Premièrement, je voudrais dire…

— Non ! Pourquoi avez-vous bu ? Décidément, vous avez du mal avec les questions.

Le prévenu répond seulement que c’était le week-end.

— Est-ce que vous buvez tous les samedis ? Parfois, c’est le vendredi, c’est ça ?

Il rit, puis assène :

— Vous avez un problème avec l’alcool. Bon, que s’est-il passé ?

— J’ai rejoint une amie, mais vers 1 h du matin, elle m’a mis à la porte et…

— Oui, très bien, d’accord, on a compris, ça se passe mal.

— Je tiens à m’excuser.

Le prévenu explique qu’il va mal suite à une rupture amoureuse, mais ça n’intéresse pas trop le président :

— Vous consommez des stupéfiants ?

— Oui. Du cannabis.

— Tous les combien à peu près ?

— Le week-end.

— Il faut supprimer les fins de semaine ! Les vendredis et samedis, ça ne va pas. Il faut faire la semaine de 4 jours ! [Redevient soudain grave] Les fonctionnaires de police en ont assez de tous ces individus qui les insultent et qui leur crachent dessus. Le problème, monsieur, c’est qu’il y a des antécédents. En 2021, vous avez été condamné à 8 mois, dont 4 avec sursis pour détention et possession de stupéfiant. La partie ferme a été convertie en travaux d’intérêt général. Vous les avez faits ?

— Aux espaces verts.

— Ça doit avoir un lien avec le cannabis ! Vous avez été condamné la même année pour usage de stupéfiant, puis pour conduite malgré la suppression du permis à payer une amende de 400 €. Vous n’avez pas repassé le permis depuis ?

— Non.

— Vous avez ensuite été condamné pour un refus d’obtempérer à des jours-amendes. Des jours-amendes ! On ne peut vraiment pas dire qu’on a été méchant avec vous !

Il lit les déclarations faites en garde à vue :

— « Ça a réveillé le malheur que j’avais en journée. » Hum. « Je ne suis pas violent outre manière. » « Outre manière », qu’est-ce que ça veut dire, ça ?

— J’ai un problème avec l’alcool, mais j’ai un rendez-vous.

Le président éclate de rire :

— Ben voyons ! Les rendez-vous avec le psy, c’est toujours le jour où ils se font arrêter ! Le contrat de travail, c’est le lendemain… Comme j’aime à le dire, la justice est un formidable accélérateur de carrière !

Le jeune homme se rebiffe :

— J’avais pris rendez-vous depuis début janvier ! J’ai vraiment signé ce contrat, j’essaie de me réinsérer.

— Mais c’est raté monsieur ! Et vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous !

L’avocate des parties civiles croit utile de préciser que « les policiers ne font que leur travail ». Elle demande 600 € pour chacun des deux policiers en réparation de leur préjudice moral, plus 800 € pour les frais de justice.

Le procureur est en verve.

— On a beaucoup de chance d’être mardi aujourd’hui. Mardi, c’est ravioli. Vendredi, c’est cannabis, et samedi, c’est bibine ! Le chichon qui va bien, la bibine qui va bien, et tout ça à cause d’une femme – la femme est l’avenir de l’homme, et son avenir est bien sombre…

Lui aussi se moque du rendez-vous avec la psy pris par le prévenu :

— Le jour même ! on croirait entendre un petit violon. [Il montre son front] Vous pensez sans doute qu’il y a marqué « pigeon » là. Mais ce que vous ne voyez pas, parce que c’est écrit derrière, c’est « difficile à plumer ». Au bout de 40 ans de mensonges des prévenus, on ne se fait pas abuser comme ça. Le fameux trou noir, ça fait 10 ans que j’en entends parler. J’observe avec intérêt que tout le monde y abandonne sa mémoire. Le trou noir qui consiste à assaillir les forces de l’ordre, comment vous dire que je n’y crois pas trop ? Et je ne sais pas ce que vous avait fait cette voiture, mais son propriétaire va avoir des difficultés à trouver les pièces !

Il demande 6 mois ferme, plus 6 mois avec sursis probatoire assorti d’une obligation de soins.

L’avocate de Basile apporte des documents au président pour prouver que le rendez-vous avec l’addictologue avait vraiment été pris depuis janvier, et qu’il a réellement signé un contrat. Elle revient sur les réquisitions :

— Six mois ferme plus six mois de sursis probatoire, ça ne correspond ni à sa personnalité, ni aux faits, ni à l’intérêt de la société qui a plutôt intérêt à ce qu’il travaille, à ce qu’il se réinsère et à ce qu’il rembourse les parties civiles.

Le président lui annonce qu’il est condamné à 9 mois de prison, intégralement assortis de sursis probatoire pendant 2 ans :

— Vous n’irez pas en prison ce soir. J’espère que vous réalisez que c’est une peine clémente, un dernier avertissement.

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