Toulouse, chambre des comparutions immédiates, février 2023
Abdel M., 25 ans, est jugé pour le recel d’un téléphone portable et le non-respect d’une interdiction de paraître sur Toulouse.
Le président résume le dossier à grands traits : en 2022, le prévenu a été condamné à du sursis pour une affaire de stupéfiant, puis à trois mois fermes, aménagés en travail d’intérêt général, pour vente de paquets de tabac à la sauvette. Il est par ailleurs en situation irrégulière et on lui a déjà notifié une OQTF. Il habite sur Toulouse où il est interdit de paraître pendant 2 ans.
— C’est très simple ! On vous a contrôlé au marché de la Reynerie – on en parle beaucoup de ce marché ! On y trouve des objets d’origine frauduleuse et c’est pour ça qu’il y a des policiers.
L’explication est limpide, le président continue :
— Quand les policiers arrivent, vous vous débarrassez d’un téléphone sous une voiture. Le portable était volé depuis décembre. Voilà ! Qu’a-t-il à dire des faits ?
L’interprète traduit sa réponse :
— Le prévenu dit qu’il ne l’a pas volé et qu’il ne l’a pas jeté.
— Mais bien sûr !
Abdel M. maintient coûte que coûte sa version. Le président y trouve un temps de quoi s’amuser puis s’exaspère :
— Il faut arrêter de dire des bêtises ! Comment les policiers sont-ils allés chercher le téléphone sous cette voiture, si vous ne l’avez pas jeté ?
— Il y a des caméras sur les gilets des policiers, vous n’avez qu’à regarder ! C’était un contrôle normal, je me suis mis en position. Le policier l’a pris dans ma poche. Il m’a fait savoir que ce téléphone était volé, je ne le savais pas.
— Ben voyons !
Et qu’est-ce qu’il faisait sur Toulouse alors qu’il n’a pas le droit d’y être ? Le prévenu explique qu’il n’avait pas le choix : il doit se rendre au service pénitentiaire d’insertion et de probation pour son TIG.
— C’est la faute du SPIP maintenant ! Cette interdiction de paraître vous a été notifiée, vous l’avez signée, donc ne racontez pas d’histoires. Parce que les histoires, ça suffit !
— Faire des allers-retours, ça coûte de l’argent. Moi, je n’ai pas d’argent. Je voulais juste terminer mon TIG et quitter définitivement Toulouse.
Le procureur se lève :
— On va revenir sur le parcours de monsieur. En juillet, il est condamné en comparution immédiate à 6 mois avec sursis et une interdiction du territoire. Le 26 août, on le surprend en train de vendre du tabac : il passe en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Le 28 août, il passe à nouveau en CRPC. Il est condamné à 3 mois ferme qui sont transformés en TIG. Tout ça, c’est plutôt sympa. Et on le retrouve avec un téléphone volé dont il nous dit des choses abracadabrantes – soit dit en passant, quand on ment, mieux vaudrait le faire de façon crédible. Il faut que ça cesse ! Il est temps d’être moins gentil : je requiers 10 mois ferme et le maintien en détention.
L’avocat plaide le doute :
— Les policiers arrivent sur cette place où il y a des centaines de marchands ambulants qui vendent des objets volés. Le procès-verbal parle d’un monsieur qui aurait jeté ce téléphone, peut-être qu’il y avait une confusion sur la personne. Depuis le début, mon client dit : « Moi, je suis sûr de moi. Regardez sur la caméra. »
Les caméras étant éteintes, on ne saura jamais. Le président se balance doucement de gauche à droite en souriant.
Sur le fait que les rendez-vous au SPIP sont incompatibles avec l’interdiction de paraître à Toulouse, l’avocat est catégorique : même si, selon lui, son client s’est exprimé « maladroitement », il n’en a pas moins raison !
— La juge des libertés et de la détention qu’il a vue vendredi lui disait qu’il y a plein de villes tout autour de Toulouse qui lui aurait permis de rester sans enfreindre l’interdiction de paraître. Mais enfin ! Il le dit, il est dans une situation très précaire. Il a un logement sur Toulouse, et pour lui c’est déjà grandiose.
Revenu des délibérations, le tribunal condamne Abdel M. à 4 mois de prison avec maintien en détention. Et à rembourser 409 € au propriétaire du téléphone en réparation de son préjudice matériel. Le prévenu s’adresse au tribunal d’une voix douce :
— Vous ne voulez pas me donner une chance, monsieur ?
— La décision vient d’être rendue. Nous ne pouvons pas faire appel de nos propres décisions.
Abdel M. part la tête basse.